Le 7 novembre 2025
Volume 43, Numéro 9
Carottes orientales
Opinion

Carottes orientales

Les carottes de l'archiduchesse sont-elles cuites ou archicuites? … ou peut-être que je me trompe d'expression. Ce qui est certain, c'est que des carottes ont fait l'actualité il y a quelques jours.

Normalement, il aurait dû s'agir de ma récolte miraculeuse de carottes. Je les ai oubliées tout l'été après avoir semé approximativement les minuscules graines dans mon carré au jardin communautaire et les avoir arrosées une ou deux fois. J'avais quasiment honte d'y retourner après tant de négligence. Pensant tirer quelques faméliques légumes pour souper l'autre jour. Surprise! Énormes, saines et oranges, de quoi avoir assez de réserve pour s'en écœurer dans quelques semaines. 

Et donc à mon grand étonnement, le Journal de Montréal a plutôt publié un texte sur les carottes provenant d'Israël, sous la plume de la chroniqueuse et ancienne porte-parole de Québec Solidaire Émilise Lessard-Therrien. Si vous retrouvez l'article, tout est dans le titre: des carottes provenant de ce pays du Proche-Orient se retrouvent dans les assiettes des petits québécois et, selon l'autrice de la chronique, tout ceux qui ont participé à leur importation sont dénoués de sens moral. 

C'est le genre de réflexion que je me faisais à 15 ans. Heureusement à l'époque je n'avais pas la possibilité de donner mon avis dans le JdeM. Aujourd'hui, je sais que mes belles valeurs ne sont pas à toute épreuve, la preuve en étant dans la négligence de mes semences malgré mes vœux d'autonomie alimentaire. Cherchez l'erreur. 

Puisque je ne suis pas le Jardinier paresseux, vous vous doutez bien qu'il ne s'agit pas d'une chronique maraîchère. Malheureusement, je n'ai pas le talent pour vous tricoter une transition plus douce, il va falloir passer des histoires de jardin à celles des conflits qui cumulent plusieurs millions de morts, essentiellement civils, depuis 80 ans. 

Peu de situations sont aussi polarisantes que le conflit palestinien. Des décennies de violences. La colonisation comme projet politique embaumée au formol sur un petit bout de terre. Et la pierre de David il faut la lancer à tous: colonisation ottomane, britannique et israélienne. 

Or, il doit y avoir de nouveaux virus qui circulent et qui ont pour effets secondaires de donner une compréhension absolue de la géopolitique mondiale. Sinon comment expliquer la facilité qu'ont aujourd'hui certains à afficher leur haine ostentatoire de certains pays? D'Israël ou de la Russie, pour ne pas les nommer. 

C'est marginal, je sais. Ce sont surtout des gens qui se croient bien informés. Qui, avec raison, sont choqués de la violence aveugle qu'Israël a fait tomber sur la Palestine (et le Liban) depuis deux ans. 

Il est tellement facile de se faire une opinion en se basant uniquement sur l'actualité, mais c'est aussi dans les livres d'histoire qu'il faut se plonger. L'histoire n'est qu'un océan de zones grises moralement dont il est beaucoup plus difficile d'en ressortir avec une opinion tranchée. 

Pas seulement l'histoire de l'Allemagne hitlérienne, il faut aussi s'attarder sur toutes les mesures anti-hébraïques prises par les pays arabes des années 1950 à 1980 au nom de la solidarité avec le peuple palestinien et évidemment sur les conflits armés et sur la colonisation juive des terres arabes. De ce regard sur l'histoire, on pourra en sortir des tas de choses, mais une réalité transcende les décennies et les siècles : la haine entraîne la haine. Idem pour la violence. 

J'ai l'impression que le citoyen lambda se met à raisonner comme certains pseudos experts politiques des chaînes d'information en continue qui ont comme fonds de commerce de complexifier les situations à outrance. 

On se met à raisonner de façon à justifier l'injustifiable, simplement car il semble bon de prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Pourquoi ne pas être tout simplement contre les violences envers les civils, contre la famine, contre l'autoritarisme? Ces causes se valent en soi. 

Il faut drôlement détester un pays pour aller jusqu'à s'empêcher de manger des carottes. Et je refuse qu'on normalise la haine des pays. Point barre. Pas ici, si loin et protégés de ces conflits. 

Les Palestiniens et tous les civils touchés par des conflits sans fin dans le monde n'ont pas besoin que nous nous empêchions d'acheter un produit ou un autre. Les victimes civiles ont besoin que les Canadiens mettent toute la pression sur leur gouvernement fédéral pour que le Canada reprenne son rôle pacifique qui faisait la grandeur du pays au siècle dernier.