Le 18 octobre 2025
Volume 43, Numéro 8
(Se) Peinturer dans le coin
Opinion

(Se) Peinturer dans le coin

Peu de travaux sont aussi salissants que de creuser un drain agricole dans un sol glaiseux. J'ai passé la fin de l'été sur ce projet; des jours et des jours de plaisir à ajuster l'angle d'écoulement à la mitaine. Presque autant de temps à décrasser mes vêtements ensuite. Mes bottes en sont encore souillées dans leur âme de caoutchouc.

Creuser une fondation construite avec les moyens du bord d'il y a un demi-siècle, c'est un peu jouer à la roulette russe. Le mieux qui puisse arriver c'est que les murs soient dans un état passable. À ce point la perfection n'est plus envisageable .

Et évidemment, la dernière étape des travaux est de redescendre dans la tranchée pour réparer les fissures avec une membrane imperméable. Étendre le primer et essayer de sortir sans toucher au produit qui sèche et en évitant que de la terre y colle. Des acrobaties qui m'ont fait réaliser qu'il est bien possible de se peinturer dans le coin, littéralement comme l'expression l'indique.

Le tout est maintenant bien enterré sous des tonnes de sable, mais je me sens encore peinturé dans le coin. Voyez-vous, il faudra encore voter dans quelques semaines et il est bien difficile de se faire une tête.

Aux prochaines élections municipales le 2 novembre prochain, les électeurs auront le choix de voter pour des gens d'affaires, des citoyens engagés, des illuminés, des jeunes, des vieux, des élus qui veulent un autre mandat, des professionnels de la politique qui changent de pallier de gouvernement au gré du vent et des gens qui en sont à leur énième tentative de se faire élire… mais le choix de voter pour le changement? Pas tellement.

Non pas qu'aucun politicien ne souhaite apporter de nouvelles idées et insuffler une nouvelle direction qui tranche avec le leadership des dernières décennies. Au contraire! Toute une génération d'élus dynamiques misant sur une nouvelle approche a pris place suite aux élections précédentes en 2021. Mais un peu partout, ceux-ci ont fait face à l'immobilisme, devenu une véritable religion d'état au sein  des différentes instances de gouvernance.

Déformation professionnelle oblige, je suis avec intérêt l'actualité des régions du Québec où j'ai habité au fil des ans. Que ce soit dans les Cantons-de-l'Est, en Estrie, Montérégie, au Saguenay ou sur le Côte-Nord, c'est partout les mêmes dynamiques qui prennent vie. Des élus, qui sont arrivés avec une bonne lecture des enjeux avec le souhait d'emmener une nouvelle façon de faire, ont vécu des mandats extrêmement difficiles.

Souvent, la-dite nouvelle façon de faire a mangé une solide mise en échec, soit par le reste du conseil municipal, soit par les fonctionnaires ou même par les électeurs en général qui, bien sûr, veulent du changement, mais pas dans leur cour.

Le changement est un beau slogan de campagne électoral, mais la réalité est qu'il y a mille façons de freiner celui qui veut avancer.

Si ce n'est pas le reste du conseil municipal qui parasite les processus décisionnels, peut-être sera-ce les hauts fonctionnaires qui feront tout pour éviter de changer leur routine et mettre en péril leur situation confortable. Et même si tout va bien et que vous arrivez au lancement de l'appel d'offre de votre projet, surprise surprise, ce qui devrait coûter 300 000$ coûte aujourd'hui un million. Une jungle de normes, règles et complexités multiples vous sépare des contracteurs qui pourraient construire les infrastructures de votre communauté pour un prix normal.

Peut-être que votre priorité est simplement de soutenir un projet entièrement privé? Un développement immobilier par exemple. Crise du logement, les jeunes paient des fortunes pour des taudis. Une bonne idée? Mais non, une poignée de voisins arrivés juste avant la Covid mène une campagne de peur qui vous oblige à reculer.

Tout ne va pas mal partout tout le temps, mais presque chaque ville et municipalité vivent l'un de ces enjeux depuis le dernier mandat.

Tout cela n'est pas complètement nouveau. La politique a toujours été l'art de la négociation. Ce qui change, c'est la disparition du pouvoir personnel et du champ d'action des élus. 

À une époque aujourd'hui révolue, maires et mairesses réussissaient à avoir assez de pouvoir personnel pour mener à bien leurs objectifs personnels. Un pouvoir qui s'écartait parfois du droit chemin et qui a mené à de multiples abus, mais aussi aux plus importantes réalisations de l'histoire récente du Québec.

Le Québec est devenu puritain depuis la conclusion de la commission Charbonneau, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut réfléchir à une nouvelle façon de faire qui permettra aux maires et mairesses de réaliser des projets d'envergure et de s'attaquer aux enjeux de leur communauté.

Il faudra se pencher sur tout le cadre législatif et réglementaire qui s'est empilé comme un barrage de castor et qui est devenu, dans certains contextes, autant d'armes pour s'attaquer à tout ceux qui veulent sortir des sentiers battus.

Pour le prochain mandat de tous ceux qui seront élus et réélus le 2 novembre prochain, la priorité devrait être de trouver de nouvelles façons de travailler, quitte à mettre en lumière les limites du cadre actuel et de presser le gouvernement provincial à rouvrir des lois.

Déjà le provincial n'hésite pas à pelleter aux villes et municipalités des responsabilités dont il s'occupait auparavant.

Le rôle des gouvernements locaux ne fera que s'amplifier dans les années à venir, mais la situation actuelle en matière de leadership interne est intenable sur le long-terme et tous au sein des conseils municipaux doivent en être conscients.