Le 16 septembre 2025
Volume 43, Numéro 7
Opinion

Le mot en d... qu'on ne voudrait prononcer

Tranche de vie. Je ne croîs plus depuis bien longtemps. Notez bien l'accent circonflexe, comme dans le verbe croître. Il faut bien croire qu'à force de laisser l'intelligence numérique s'occuper de nos textes, on en perd nos accents, mais ceci est une autre histoire… 

Quand j'étais petit, ma grand-maman mesurait ma taille sur un coin de mur avec une boîte de céréales et un crayon de plomb. Et d'une fois à l'autre, j'étais de moins en moins petit. Un beau jour, les traits de crayon ont cessé de grimper et on a bien vu que je ne croissais plus… et on n'en fit pas tout un plat.  

J'aimerais bien que ce soit la même chose avec les pays. 

Un jour viendra où il faudra discuter de l'infâme mot en d qu'on évite comme la peste dans les cercles politiques. Ce mot en d qui se retrouve surtout dans la bouche des amateurs de mode de vie alternatif, néo-hippies et autres chevelus: "décroissance". 

Prenez le problème dans un sens comme dans l'autre et vous verrez bien, comme ma grand-mère jadis, qu'il n'y a plus grand espace entre les traits de crayon sur le mur de la cuisine. 

Il y a aussi le mot en p avec lequel on aime bien se gargariser: "productivité". Des esprits bien plus fins que le mien s'y sont penchés et on n'arrive toujours pas à trouver quels derrières botter pour l'augmenter; au Québec pour rattraper l'Ontario (l'obsession de notre PM) et au Canada pour rattraper les pays développés. Un Canadien produit environ pour 75$ US par heure travaillée, un Norvégien le double. Il y a des aides financières, des ressources payées et formées, des campagnes de sensibilisation et malgré tout cela on n'y arrive pas. 

Côté humain, après avoir tenu des discussions stériles pendant des années sur cette notion vague de capacité d'accueil, nous y avons été confrontés avec le fort volume d'immigrants reçus dans les dernières années Trudeau. Somme toute, il semblerait qu'il s'agisse surtout d'un problème économique et administratif plutôt que d'une intolérance citoyenne. Bonne nouvelle! 

Force est de constater que cette croissance de population a exercé une pression sur certains secteurs, paramètres économiques et les services publics qui fonctionnaient déjà à pleine capacité, sans qu'on puisse intégrer suffisamment et assez rapidement de nouveaux arrivants dans ces services et industries spécifiques pour diminuer la pression.  

Le Québec a déjà resserré drastiquement les programmes d'immigration et les démographes devront retourner à leurs statistiques, car les projections de population pour les décennies à venir ne tiendront probablement pas la route. 

Alors, si la croissance ne passe pas par une plus grande productivité à l'heure, ni par une croissance du PIB total par l'immigration, que faire? Commencer par se poser des questions peut-être… 

Comment se fait-il que parmi tous les pays développés (à l'exception notable d'Israël) aucun n'ait un taux de natalité suffisant pour assurer le renouvellement naturel de sa population? Se pourrait-il que notre train de vie et que nos conditions économiques soient devenus trop difficiles pour y fonder des familles?

Et l'indice de bonheur est en chute libre au Canada depuis 15 ans malgré toutes les facilités matérielles à portée de main. Pourquoi tout cela ne justifie-t-il pas de projet de société pour y remédier? 

Nos gouvernements poussent unanimement dans une direction qui visiblement de un, ne fonctionne pas et de deux, semble aller à l'encontre des aspirations profondes des individus. À moins d'éclair de génies aux prochaines élections, il faudra réfléchir et planifier notre ralentissement économique et éventuellement notre décroissance. 

Il faudra trouver une manière de soutenir notre système de santé mieux qu'aujourd'hui pour que nos aînés reçoivent les soins qu'ils méritent. Il faudra s'assurer d'avoir des enseignants de vocation devant les élèves pour qu'ils puissent bénéficier d'une richesse intellectuelle que personne ne pourra leur enlever. 

Il faudra éviter que le nombre de locataires qui se retrouvent sans toit cesse de se multiplier d'un  1er juillet à un autre et que les banques alimentaires se remplissent de travailleurs qui ne réussissent plus à joindre les deux bouts. Et ce, sans l'augmentation de la productivité que l'on souhaiterait tant. 

Tout cela, il faudra commencer à le planifier rapidement, sous peine d'en vivre les conséquences à terme.