Le 7 juin 2025
Volume 43, Numéro 6
Opinion

Les oranges de la colère

Après le sirop d'érable, le bœuf et la tourtière, il est désormais possible de soutenir l'économie national en se procurant de l'huile à moteur fièrement canadienne. Le boycottage des produits américains pourra donc se poursuivre jusqu'à l'entretien de votre voiture.

Peut-être êtes-vous perplexe comme moi? Pourtant vous n'aurez qu'à vous rendre sur la plateforme web de Canadian Tire pour remarquer que certaines huiles, très essentielles sans en porter le nom, abordent l'emblème national. D'un océan à l'autre, roulons donc avec cette huile au parfum de sirop d'érable et d'air frais des rocheuses! Après tout, il y a bien de l'extraction pétrolière et des raffineries au Canada, alors pourquoi les produits dérivés ne seraient-ils pas également canadiens?

Tels des Ghandi du 21e siècle, une foule de québécois s'abstient d'acheter des produits américains pour manifester leur mécontentement face aux politiques délirantes de Donald Trump. Pour certains, il s'agit d'une démarche réfléchie visant à aligner leurs dépenses à leurs valeurs, mais pour de nombreux autres, c'est une question de boycotter l'Oncle Sam et de trouver des produits de substitution.

Il faut reconnaître quelque chose, le bonhomme orange de l'autre côté de la frontière a beau être vite sur ses patins pour faire, défaire et refaire ses politiques, nos commerçants sont encore plus rapides pour suivre les mouvements populaires.

D'abord certains fruits; alors que les épiciers s'approvisionnent bien souvent aux États-Unis au début du printemps, ils se sont cette fois tournés vers l'Amérique du sud… On l'oublie souvent dans notre époque mondialisée, mais c'est drôlement loin l'Amérique du sud! À titre comparatif, le Pérou est plus éloigné que la France par rapport au Québec et ne débouche pas sur le même océan. Trump est bien désagréable, mais il ne faudrait tout de même pas bousiller la planète davantage en signe de protestation.

Mais nos ingénieux commerçants ont rapidement contourner le problème en proposant des produits nouvellement canadiens. J'ai vu de mes yeux vu en avril dernier du jus d'orange canadien provenant de Rougemont en Montérégie. C'est donc dire qu'ils poussent drôlement vite les orangers en hiver si on a attendu l'élection de Donald Trump pour les planter. Les oranges de la colère en quelque sorte.

Évidemment, il n'y a pas d'orangers à Rougemont. Oasis explique y embouteiller son jus avec des oranges provenant du Brésil (deux fois plus éloigné que la Floride), alors qu'est-ce qu'un produit canadien? Faire du vin à Shipshaw avec des raisins français serait-il considéré comme un alcool local? Si oui ça vaut la peine de s'y mettre!

Lorsque le nouveau gouvernement américain a commencé son délire de tarifs et d'achat exclusivement américain, nous étions bien conscients de notre côté de la frontière qu'il n'existait presque plus de produits complètement canadiens ou complètement américains, mondialisation oblige. C'est bien connu ici, la notion de véhicules canadiens, parfois employée par Trump, est d'une grande absurdité alors que les véhicules passent un grand nombre de fois la frontière pour leur assemblage et que les pièces proviennent de différentes régions du monde.

Toutefois cette réflexion semble s'être arrêtée aux portes automatiques de nos grandes surfaces puisque les consommateurs ont besoin de se faire rassurer avec les mots magiques Produit du Canada. Une notion bien large comme on l'a vu avec certaines catégories de produits, mais surtout qui n'est un gage de rien sous d'autres critères que la géographie.

Tout cela étant dit, je lève sincèrement mon chapeau à tous ceux qui ont fait des sacrifices financiers ou en se privant de certains achats pour dénoncer les politiques trumpiennes. Ce mouvement, désorganisé et spontané a démontré que les consommateurs québécois sont prêts à faire des choix en fonction de leurs valeurs. Les années de pandémie ont aussi démontré une capacité à l'adaptation et une capacité à se priver de certains biens lorsque nécessaire.

Ce serait peut-être le bon moment de relancer et de soutenir davantage les différents labels qui nous aident à faire des achats éclairés: aliments du Québec, biologiques, équitables, etc. Pourquoi ne pas se doter d'un cadre réglementaire plus strict qui empêcherait tout simplement l'importation de certains biens produits dans un contexte qui ne cadre pas avec nos valeurs, que ce soit sur le point de vue environnemental ou éthique?