Le 11 décembre 2024
Volume 42, Numéro 10
Opinion

X raisons pourquoi j'ai annulé mon vote

Le 21 octobre dernier je me suis levé aux matines pour me rendre à mon bureau de vote situé dans mon village natal. Matin mémorable pour la quantité de brouillard qui traînait au sol dans la région du mont Orford. 

S'il était difficile de bien voir sur l'autoroute tant la soupe aux pois vaporeuse était épaisse, mon intention de vote était, elle, claire. 

Le 21 octobre 2019, je n'ai pas voté, pour la troisième fois depuis que j'en ai l'occasion. 

Ce n'est pas tout à fait exact. Techniquement parlant, j'ai voté et pas à peu près. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit crochets. Assez pour que mon bulletin soit rejeté sans hésitation. 

Mordu de politique depuis que je sais lire, je ne peux pas me considérer comme «mal informé». Je suis au courant des dossiers et je me suis déjà fait une tête sur quelques initiatives que j'aimerais voir mises en branle par mes représentants élus. 

Je suis dans la bande des insatisfaits politiques. Un groupe en pleine expansion qui s'exprime de différentes façons: de l'extrémisme jusqu'à l'abstention en passant par l'indifférence. Moi, j'écris des chroniques. Il y a pire. 

J'ai 22 ans; j'habite les Cantons-de-l'Est. Je travaille à temps partiel pour un quotidien et je collabore avec différentes publications, parfois pour l'argent, mais généralement par engagement. Ma conjointe est artiste: il y a beaucoup de bonheur sous le toit, mais l'argent ne coule pas à flot. Nous sommes assez granos pour ne pas en avoir besoin, mais assez inspirés pour savoir comment le dépenser. 

La première raison pour laquelle j'ai annulé mon vote est que je refuse de voter pour le moins pire ou pour la personnalité du candidat. Il y avait dans mon comté des candidats et des candidates très impliqué(e)s dans leur communauté, des gens d'idées. Là n'est pas le problème. C'est plutôt que ces initiatives se retrouveront noyées dans les stratégies politiques, les impératifs électoraux, la pression du lobbyisme. Le climat politique actuel empêche presque tout engagement local. 

Puis bon, on n'a proposé rien de révolutionnaire au cours de la dernière campagne. Plutôt des épouvantails plus au moins maquillés en bonnes ou mauvaises idées. 

Que ce soit au provincial ou au municipal, je me refuse d'approuver ne serait-ce que d'un crochet sur un bout de papier. J'avais des raisons personnelles pour ne pas approuver chacun des chefs que je n'étayerai pas ici. 

Soyons un peu individualiste: aucun parti n'a proposé de plan concret pour aider mon industrie. Notre principal enjeu est la perte de revenus au profit des multinationales du web, Facebook, Google, Instagram, alouette. Je l'ai déjà écrit à quelques reprises dans les pages de certains journaux.  Encore une fois, je ne peux pas donner mon support à une organisation politique indifférente à ma crainte de me retrouver au chômage. 

Parlant d'argent, moi aussi j'aimerais ça manger bio et peut-être rouler en voiture électrique. Je suis prêt à consacrer une bonne partie de mon budget à des items peut-être plus dispendieux, mais écoresponsables. Mais pas à m'inquiéter de pouvoir payer mon appartement si j'achète des tomates bios. Je suis bien conscientiser de l'importance de protéger notre environnement, mais ma marge de manœuvre demeure limitée. 

Des partis ont tenté de nous vendre du conservatisme et du nationalisme en canne. De la peur en spray. 

Le nationalisme me passe dix pieds par dessus la tête. Ce n'est pas des immigrants que j'ai peur, mais des "de souches". Ce sont eux qui m'insultent au travail en insinuant que je reçois secrètement un salaire de la part de compagnies privées. Ce sont les "de souches" qui éprouvent à près de 45% des difficultés en lecture et qui désertent les universités. Je peux trouver au sein de ma société les individus les plus motivés à y contribuer, peu importe leur origine ethnique. 

Une autre raison de mon désengagement est que je ne me retrouve pas dans la vision économique des partis. Subventions, pas de subventions, incitatifs, taxes, tarifs: l'économie est devenue comme un discours biblique figé dans le temps. S'il faut aller sur le plan des croyances, moi je crois en l'urgence climatique, une nouvelle situation à laquelle nous faisons face comme citoyen et face à laquelle nous sommes visiblement peu outillés. Pourquoi ne pas laisser plus de marge de manœuvre aux scientifiques, météorologues et spécialistes de toutes sortes? 

Je suis convaincu que l'avenir de notre planète passe par une meilleure organisation de notre industrie. Une façon organisée de nous débarrasser des industries les plus polluantes et de nous aider comme citoyen à faire des meilleurs choix. 

Tant et aussi longtemps qu'aucun parti n'ira dans cette direction, mon bulletin de vote risque d'être annulé. 

Partout dans le monde, ou du moins dans les pays où les élections ne sont pas truquées, on voit une perte de légitimité des gouvernements en place. Avec 33% des votes et 66% de participation aux élections fédérales, seulement 22% des Canadiens en âge de voter ont appuyé Justin Trudeau. Un score si faible qu'il ne permet pas de considérer le gouvernement comme représentatif de l'opinion des Canadiens. Le désintérêt pour le politique électoraliste n'est pas passager et la démocratie devra se mettre en mode solution pour ne pas perdre de sa pertinence. Pourtant, les citoyens s'engagent comme jamais. Organismes, projets artistiques, initiatives écologiques, journaux communautaires (!) presque tout le monde investit quelques heures dans sa communauté. 

Dernière raison: la qualité de mon travail comme journaliste repose en grande partie sur ma neutralité. Même dans l'isoloir, je me refuse d'espérer la victoire d'une formation politique.