Nous sommes à l'été 1978. Mes filles ont respectivement 2 ans ½ et 9 mois. De connivence avec mon beau-frère Jean-Claude Lavoie et son épouse Pierrette (ils demeuraient à Shipshaw à l'époque), Rolande et moi décidons d'un voyage en Virginie pour le mois de juillet. J'avais une toute petite roulotte de camping et mon beau-frère une Bellevue de 10 mètres (30 pieds). Ils avaient trois enfants à ce moment-là. C'est tout un branle-bas de voyager en famille mais nous étions emportés par l'enthousiasme de nos jeunes années.
Traverser des villes comme New York avec 2 roulottes et 5 enfants, longer la côte Est jusqu'à Virginia Beach, un parcours de 1700 km, fut une expérience initiatique pour le moins. Sur le terrain de camping, près de la base militaire américaine de Norfolk, nos roulottes étaient voisines. Le premier soir, comme j'avais seulement une toilette et un lavabo dans la roulotte, Pierrette offre à mon épouse de venir laver les enfants dans leur douche. Même si la roulotte est spacieuse, la chambre de bain est quand même assez exiguë. Comme Lisa, ma plus vieille, est touche à tout, elle voit sur le lavabo un petit contenant qu'elle ouvre et referme, qu'elle ouvre et referme. Après les ablutions de nos filles, Jean-Claude prend le relais de la chambre de bain. Bref silence suivi d'un: «Pierrette, il me manque un verre de contact, «tabarnache!»» L'enquête fut de courte durée: Lisa en avait échappé un dans le lavabo. La nouvelle n'ayant eu aucune difficulté à se rendre jusqu'à moi, je compatissais avec mon voisin ulcéré. Vite passé en mode solution, je suggère que son verre de contact n'est pas perdu mais qu'il est quelque part dans son compartiment étanche sous la roulotte, sorte de fosse sceptique qui recueille les pipis, cacas et autres pendant les journées de voyage. Sa lentille flottait sûre-ment dans ce joyeux mélange. « As-tu une trappe qui donne accès au contenu?» -- «Oui mais on trouvera jamais ça. Pense-z-y, un verre de contact c'est tout petit, transparent et en plus c'est le soir. Jamais. Je n'ose même pas imaginer les odeurs du contenu merdique qui va sortir de là ».
Mais devant mon entêtement il se décide à trouver un genre de passoire à spaghetti, une lampe de poche et une chaudière. L'opération commence. Je lui suggère d'ouvrir l'œil et le bon. J'entrouvre la trappe qui laisse sortir un liquide brunâtre, quelques étrons et autres immondices. Le liquide est filtré et laisse voir les matières résiduelles dans le fond de la passoire. D'une main hésitante mais heureuse-ment gantée, Jean-Claude tâte le contenu, s'approche pour mieux voir et malheureusement sentir. Rien. Il jette le tout dans la chaudière. Deuxième essai, toujours rien. Troisième essai, au bord de la crise de nerf, notre ami détecte un petit objet brillant sous l'éclairage de la lampe de poche. Incroyable mais vrai, c'est sa lentille cornéenne, sale mais intacte qu'il tient dans son tamis. Il exultait. Il nous a fallu une bonne demi-heure pour convaincre nos épouses de la véracité de nos propos.
Jean-Claude a toujours été un homme chanceux dans la vie, voire même « chieux » à certains moments. Comme moi il garde une vive souvenance de ce haut fait et disons-le un petit œil coquin. Pour ceux qui se tracassent du sort de la passoire, je crois
que ce fut le dernier
service qu'elle rendit.
À moins que…..
Le 11 décembre 2024
Volume 42, Numéro 10